Au cours de ses dix siècles d’existence, la petite ville d’Ardres peut s’enorgueillir d’avoir vu naître, ou hébergé un certain temps, un nombre estimable de personnages célèbres.
Peut-être inconnus au niveau national, mais illustres à l’échelle de la ville, parce qu’ils ont marqué son histoire. Découvrez chacun d’eux, en cliquant sur leur nom ci-dessous.
ARNOUL 1er d’Ardres dit « l’Avoué »
(1038 – † 1093 ?/1094)
Né en 1038, fils de Elbodon de Bergues (frère du châtelain de Bergues), et d’Adèle de Selnesse, dame d’Ardres, qui est la nièce de l’évêque de Thérouanne Frameric et possède de nombreux fiefs (Peuplingues, Guémy…), les églises de Bonningues et Zouafques, et quelques terres à Hondschoote. La résidence seigneuriale de Selnesse se trouve isolée entre bois et marais ; mais à quelques kilomètres, le village d’Ardres voit sa population augmenter peu à peu.
Du vivant de son père Elbodon, Arnoul, agile et vigoureux, passionné pour les joutes et les tournois, voyageait beaucoup et défiait en champ clos les plus renommés chevaliers ; il en acquit une grande réputation, et sa renommée s’étendait au loin pour l’art des armes et des tournois. De temps en temps, il revenait se reposer au château de ses parents à Selnesse.
Arnoul est appelé « l’Avoué » parce que les moines de Saint-Bertin l’avaient établi “avoué” (laïc protecteur et administrateur) pour leurs possessions dans le comté de Guînes.
Le comte de Boulogne Eustache II « aux Grenons » (soit « aux longues moustaches ») l’avait pris en affection : il l’institua Sénéchal du Boulonnais, justicier et bailly pour toutes ses terres. Arnoul s’acquittait si bien de cette tâche que le comte lui donna comme fief perpétuel les seigneuries d’Hénin-Liétard et l’Ecluse près de Douai : Arnoul reçut le serment de fidélité des seigneurs de ces pays, dont quelques habitants vinrent se fixer à Ardres.
Et le comte de Boulogne l’amena à épouser Mahaut de Marquise, fille du Sieur Gonfroi, décédé depuis peu. Arnoul disposa alors de tous les biens apportés par cette riche héritière. Et cette union fut bénie par la naissance de nombreux enfants (Voir NOTE).
Plein d’attention pour sa famille, Arnoul reporta ses soins sur sa ville d’Ardres. Dans les
années 1060, reprenant le dessein de son père Elbodon qui avait sur les lieux fait essarter un
bois d’aulnes, Arnoul fit capter et retenir les eaux des sources qui formaient comme un marais profond au pied de la petite colline d’Ardres ; il y établit deux écluses à cent pas l’une de l’autre, et entre elles, fit élever une motte solide dominée par un donjon de bois, dont la position et la hauteur constituaient un puissant ouvrage défensif. Une enceinte extérieure compléta l’ouvrage, dans laquelle fut inclus un moulin (autre lieu caractéristique du droit seigneurial). Après quoi Arnoul fit enlever une à une toutes les pierres de son château de Selnesse, pour les transférer vers la motte d’Ardres, et consolider les ponts, les portes et tous les ouvrages nécessaires à une place de guerre de cette époque.
Car à la mort de son père Elbodon, Arnoul ayant refusé de reconnaître pour son seigneur le comte de Guînes Baudouin, des combats s’ensuivirent où il fut dominé. Mais cette place d’Ardres qu’il considérait comme sienne, il l’obtint en fief “avec Foi & Hommage”, en faisant allégeance à Robert, comte de Flandres ; et il devint ainsi l’un des douze Pairs & barons de la Cour de Flandres.
Et en échange d’un plein boisseau d’argent, le comte de Guînes Baudouin 1er abandonna tous ses droits sur la terre d’Ardres, laquelle malgré sa petite étendue fut érigée en châtellenie libre et ville franche, avec l’institution de douze pairs ou barons. Et Arnoul fut connu partout sous le nom de Seigneur d’Ardres. Il abandonna définitivement son ancienne résidence : dès lors, il ne fut plus question de Selnesse, dont il ne reste aucune trace aujourd’hui.
Dans les années 1070, comme l’était déjà depuis quelques années le château castral lui même, la ville est entourée d’un fossé de défense. Arnoul 1er s’attache à rendre la ville prospère : il crée un marché qui se tiendra tous les jeudis. Il fait bâtir au milieu de la place du marché une grande église collégiale, dédiée à Notre-Dame et à Saint-Omer et confiée à un chapitre de chanoines ; il y a fait venir des reliques : une dent de Saint Omer, qu’il fait mettre dans une châsse d’or et de pierres, une croix offerte par l’abbé de Saint-Bertin avec des cheveux de la Vierge… Des échevins (spécialistes du droit commun) furent chargés de rendre la justice avec les pairs, selon les lois et ordonnances en vigueur à Saint-Omer ; et tout le peuple d’Ardres fit dans l’église paroissiale, sur les saints Évangiles, serment de fidélité à cette institution juridique.
Arnoul s’était remarié avec Clémence, veuve du comte de Saint-Pol Hugues le Vieil ; il devint tuteur de ses enfants en bas âge, avec le titre provisoire de comte, dont il exerça la fonction.
Au décès de Clémence, Arnoul 1er se retira à Ardres, où il finit ses jours en 1093 ou 1094.
NOTE.
L’ainé, appelé Arnoul comme son père, lui succédera, connu sous le nom d’Arnoul II « le Vieux » ; le second, Geoffroi, fut Sieur de Marquise comme son grand-père maternel. Arnoul et Geoffroi levèrent des hommes de guerre pour aller grossir la puissante armée normande de Guillaume le Conquérant, dont ils reçurent des fiefs en Angleterre. Les filles, Ermentrude, Heilewide, Jocaste, Emma, firent de beaux mariages.
Cependant Mahaut était morte en couches, à la naissance de leur dernier enfant.
Ci-dessous, une vidéo par drone présentant l’emplacement du donjon d’Arnoul premier.
LAMBERT d’Ardres
(v.1160 – 1227)
Lambert d’Ardres est un chroniqueur français des XIIe – XIIIe siècles.
Né à Ardres (on ne sait trop en quelle année), issu d’une famille alliée à celle des comtes de Guînes, il est prêtre et curé d’Ardres. Il évoque deux fils, Baudouin et Guillaume, eux-mêmes clercs ; et une fille, Chrétienne, qui a épousé un membre de la famille des seigneurs d’Ardres. (L’Église pouvait recruter ses prêtres parmi des hommes déjà mariés, la consigne du pape Grégoire VII en 1074 sur le célibat des prêtres étant peu respectée jusqu’au XIIe siècle.)
La Cour de Guînes était alors une des plus puissantes et des plus lettrées de la région, sous l’impulsion notamment de Baudouin II (né vers 1135, comte de Guînes de 1169 à sa mort en 1205), entré dans l’histoire comme un des grands seigneurs les plus instruits du XIIe siècle Baudouin ne savait pas lire, mais il accordait une grande place à la culture, manifestant beaucoup d’intérêt pour les écritures sacrées, la philosophie et de nombreuses sciences ; il a constitué une importante bibliothèque, et se faisait expliquer les meilleurs livres par les clercs qu’il rassemblait autour de lui. Il a fait traduire des œuvres du latin en français (en roman, à l’époque) : depuis les Évangiles jusqu’à La Physique d’Aristote…
À la demande d’Arnould, fils de Baudouin, en 1194 Lambert entreprend d’écrire en latin une Historia comitum Ghisnensium. L’ouvrage rapporte l’histoire de deux familles longtemps rivales : celle des comtes de Guînes à partir de 918, et celle des seigneurs d’Ardres ; puis celle des deux seigneuries alliées, depuis que dans les années 1160 l’héritier du comte de Guînes Baudouin II eut épousé Chrétienne, unique héritière du château d’Ardres et de sa seigneurie. La chronique porte jusqu’en 1203 (quoique certains passages soient postérieurs à cette date).
Cette chronique est l’une des plus pittoresques du nord de la France. Son intérêt réside peu dans la véracité historique des faits rapportés sur les deux lignées : Lambert n’est guère objectif, il écrit « à la louange, à la gloire » des familles de son commanditaire.
En revanche, parce que Lambert se montre très curieux de la culture profane (chansons de gestes, chroniques locales), son œuvre offre un très grand intérêt en rapportant les coutumes et traditions féodales et chevaleresques dans cette partie du Royaume de France : de ce point de vue, elle constitue un reflet précieux du mode de vie de l’époque, sur les pratiques de cette Cour importante (les comtes de Guînes représentaient un réel pouvoir local, leurs alliances et guerres le démontrent), sur les mœurs en Boulonnais, Calaisis et Ardrésis. On y découvre 25 villes et 85 villages dans leur existence antérieure au XIIIe siècle.
La chronique de Lambert d’Ardres a connu une grande postérité : il en existe de nombreux manuscrits, notamment dans les bibliothèques nationales de France et de Belgique. Puis elle a fait l’objet de plusieurs éditions anciennes ou modernes.
Denis-Charles Godefroy de Ménilglaise, membre de la Société des Antiquaires de la Morinie, l’a traduite du latin en français, et fait imprimer en 1855 sous le titre « Chronique de Guines et d’Ardre » (sic). Avec Lambert dit-il, « nous pénétrons dans les châteaux des seigneurs et dans les chaumières des serfs : nous entendons leur langage, nous saisissons leurs idées ; la chevalerie, les tournois, les guerres de voisinage, les conditions sociales, les usages domestiques, l’architecture civile et militaire, la littérature du temps, sont là sous nos yeux ».
Certes, le latin de Lambert est plutôt “ampoulé”, son style est redondant, emphatique, selon probablement l’art d’écrire à l’époque : « Souvent prétentieux et entortillé, il prodigue les vers, les allusions érudites, les jeux de mots, les répétitions de consonnances ; il aime la périphrase, l’hyperbole ». Cependant il montre un réel talent de conteur, et « malgré ces défauts de style, on le lit avec attrait : il peint chaudement, donne la vie à ses personnages, expose beaucoup de choses ; il est exempt de la sécheresse de la plupart des chroniqueurs contemporains. »
Cette chronique médiévale continue de susciter l’intérêt des chercheurs. Certains textes sont présents dans les manuels scolaires ; ou, selon la description très précise que Lambert en a faite, le dessin de la tour construite sur une motte castrale vers 1120 par Arnoul II, seigneur d’Ardres.
« COMMENT LA VILLE D’ARDRE PRIT SON NOM » …
« Le lieu où se presse actuellement la population d’Ardres était jadis à usage de pâture et peu habité. Vers l’emplacement du marché actuel, il y avait un cabaret, où l’on brassait et vendait de la cervoise : les ruraux – peu intéressés par la grandeur et l’extension de ce marché – s’y assemblaient pour boire et s’enivrer.
Ce lieu qui n’avait pas encore de nom propre était qualifié « Arde », c’est-à-dire « pâture », laquelle s’étendait jusqu’à la montagne Agemelinde 1. Les bergers et autres habitués du lieu, sans jamais nommer le brasseur ni sa maison, se disaient entre eux « Allons ensemble à Arde « , c’est-à-dire, dans la langue du pays, en cette pâture.
En raison de l’augmentation de la population et de l’affluence des étrangers, Arde devint un village. Peu après, des marchands italiens qui faisaient route vers l’Angleterre pour leurs affaires, passèrent à Arde. Ayant demandé le nom du village, ils décidèrent que pour eux ce serait « Ardea », en voyant un oiseau qui prenait son envol vers la prairie du côté Nord, que l’on nomme en latin « ardua » et en français héron ; pour ce qu’ils pouvaient être issus ou natifs de la ville d’Ardéa 2, ou pour ledit oiseau, tous ensemble ils s’exclamèrent, pour appeler la ville « Ardea » ».
D’après LAMBERT D’ARDRES 3, « Chronique de Guînes et d’Ardre, 918-1203 »
1. Agemelinde (comme « Arde », terme d’origine germanique) : le Mont Éventé. Le site fut choisi pour construire vers 1530 le premier bastion des fortifications d’Ardres (Bastion du Mont-Éventé), en même temps que le Bastion Royal. À l’emplacement des actuelles Avenue Ernest Ranson et institution N.-D. de Grâce.
2. Ardéa, Ardea : ville italienne, près de Rome.
3. Ardea, Ardre, Ardres… l’allitération est fréquente depuis la fin du Moyen-Âge ; la graphie Ardres est officielle depuis l’époque napoléonienne.
Antoine de Bourgogne, dit « le Grand Bâtard »
(1421-1504)
Parmi les Ardrésiens célèbres, penchons-nous sur « Antoine de Bourgogne » qui posa en 1503 la première pierre de la tour de l’église d’Ardres, construisit la chapelle Saint-Louis sur la colline de Guémy, à Tournehem-sur-la-Hem, bâtiments toujours présents dans notre environnement. Qui était ce fameux Antoine ?
Antoine fut sagement élevé à la cour des Ducs de Bourgogne à Bruxelles et en Flandre. Pour ses 22 ans, son père lui « vend à rachat perpétuel » (bizarre, comme cadeau d’anniversaire !) la partie non anglaise du canton de Guînes, soit les secteurs d’Ardres et Tournehem.
En 1456, Antoine est fait Chevalier de la Toison d’Or.
(Il en porte le collier ci-dessus, sur le portrait peint v. 1460, par Rogier Van der Weyden).
Ci-contre : les armes d’Antoine de Bourgogne, barrées d’une diagonale, signe du “Bâtard”.
Doué d’une “activité infatigable”, on le trouve partout où son père puis son frère ont besoin de lui.
En 1464, il quitte le port de l’Écluse (Sluis en néerlandais, avant-port de Bruges, aujourd’hui également à l’intérieur des terres) avec une flotte importante, direction l’Afrique du Nord pour lutter contre les Barbaresques ; il fait lever le siège de Ceuta. Le 16 juillet 1465, il participe à la bataille de Montlhéry contre l’armée du roi de France Louis XI : chacun des deux camps en revendique la victoire…
Au décès de Philippe le Bon (1467) et donc à l’avènement de son fils Charles « le Hardi », trop “Téméraire” sans doute mais auquel Antoine est indéniablement dévoué, celui-ci reçoit le commandement des troupes ducales dans les « pays de Bourgogne ».
Antoine est en Italie en 1475 (Naples, Rome, Florence, Venise… peut-être à la recherche de manuscrits et miniatures, dont il était grand collectionneur ; et mécène, comme son père). Il rentre en Suisse à l’appel de son frère, pour y subir la lourde défaite de Morat (20 juin 1476). S’en étant pris au duché de Lorraine, le 5 janvier 1477, Charles meurt devant Nancy ; Antoine est fait prisonnier.
Le roi Louis XI trouve intérêt à acheter sa libération, et le prend à son service. Et Antoine lui promet fidélité. Car Marie de Bourgogne, seule héritière de Charles le Hardi, décide de se marier avec Maximilien d’Autriche : le duché de Bourgogne lui-même fait retour à la France, ainsi que l’Artois et la Picardie ; mais les autres conquêtes que les ducs ont faites au fil du temps, les « pays de Bourgogne », passent en main étrangère. Aussi le Grand Bâtard, descendant de la maison royale de France, se soumet-il au roi Louis XI.
Vers 1460 Antoine avait épousé Jeanne-Marie de La Viéfville, dite Madame de Beveren, dont il eut quatre enfants ; l’aîné, Philippe, participa comme son père aux activités militaires et diplomatiques du Duché.
Antoine de Bourgogne vécut sa retraite au château de Tournehem (aujourd’hui disparu ), fréquentant la cour de Louis XI puis celle de Charles VIII, et les chapitres de la Toison d’Or.
Dernier vestige du château de Tournehem
Son ardeur au combat avait laissé place à une non moins ardente (nouvelle ?) dévotion. Il fit construire la Chapelle Saint-Louis, sur la colline de Guémy : les ruines encore debout peuvent attirer de loin l’attention des marins.
Le 11 mai 1503, il posa la première pierre de la tour de l’église d’Ardres ; il fit écrire dans un cartouche : « En l’an mil V et III XIe jour de mai, Anthone de Bourgogne mit la première pierre à cette tour Priez pour lui. »
Il décéda le 8 mai 1504, à l’âge de 83 ans. Il fut enterré à Tournehem, dans une chapelle qu’il avait fait construire près de l’église, mais qui fut détruite comme son château (la forteresse fut définitivement rasée en 1595).
Sa devise « Nul ne s’y frotte » et son insigne, la « hotte d’embrasure » (vantail percé d’un trou pour guetter l’ennemi sans se mettre à découvert, et s’ouvrant vers le bas pour lancer des projectiles enflammés – ou pas – contre les assaillants), figurent encore sur le linteau du moulin de Tournehem-sur-la-Hem.
L’ORDRE DE LA TOISON D’OR
Ses chevaliers portent en sautoir ce pendentif. Créé en 1429 par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, cet ordre évoque le souvenir de Jason et des Argonautes, héros de la mythologie grecque.
La création des ordres de chevalerie répond au souci d’encourager les nobles à adhérer aux valeurs chevaleresques et à celui de renforcer leur fidélité, que les liens vassaliques n’assurent plus désormais.
L’Ordre de la Toison d’Or peut être décerné aujourd’hui par le monarque espagnol, et la République d’Autriche.
Marquis Hercules-Louis de ROUVILLE
( . . . ? – 1677)
Une rue bordant le Champ de Foire porte le nom d’un des Ardrésiens les plus célèbres (on en ignore pourtant la date de naissance), parce que très efficace dans sa fonction.
Le cardinal de Richelieu en parle dans ses Mémoires comme d’un homme de tête et de cœur, bien qu’ayant pris parti parmi ses ennemis pendant la Fronde. Effectivement en 1640, Rouville était le hardi et clairvoyant conseiller du duc de Longueville… dont le caractère faible et irrésolu l’empêcha de suivre ses sages conseils (après avoir fui Paris avec le duc de Vendôme : se maintenir dans Rouen, et s’assurer ainsi la Normandie).
Hercules-Louis appartenait par sa famille à la noblesse de Picardie. Il était le second fils de Jean de Rouville (seigneur du Meux, Rivecourt etc., capitaine de la cavalerie légère en Allemagne et d’une compagnie d’ordonnance, décédé en 1637 d’une blessure reçue devant Epinal), et de dame Jacqueline de la Rocque, fille de Pierre, seigneur de Ville-Grugny. Il avait succédé aux droits et titres de son frère aîné Louis, mort en duel à l’âge de 21 ans.
Son prédécesseur en tant que gouverneur d’Ardres était cet intrépide Lermont, qui fit prisonnier en 1638 le gouverneur de Saint-Omer (alors place espagnole) ; on attribua le nom de Lermont à un régiment, et à une demi-lune des fortifications d’Ardres.
En 1646, le marquis de Rouville succède à Lermont dans le gouvernement d’Ardres et de Guînes. Hercules-Louis, marquis de Rouville, seigneur du Meux, Rivecourt etc., lieutenant-général des armées du roi, colonel du régiment de Rouville, capitaine d’une compagnie d’ordonnance, d’une compagnie franche de cavalerie légère et d’une compagnie de 128 fusiliers, était chef de la branche cadette de sa maison.
Par son énergie, le marquis de Rouville sauva par deux fois la ville d’Ardres : lors de la conjuration des Rambures en 1653, après que Nicolas Roze l’ait informé de la conspiration des Rambures (voir onglet Françoise Roze) ; et pendant le siège de 1657 par les Espagnols.
Cartouche (1668) gravé sur la cheminée du manoir
Le marquis de Rouville, tenant lui-même de la noblesse de Picardie, était allié à des familles de renom. Il était marié depuis 1639 avec Marie-Jeanne du Bosc, sœur du lieutenant général d’Ardres Antoine du Bosc de Tassencourt. D’autre part au château de Bussy-Rabutin en Bourgogne, on peut admirer le portrait de Louise de Rouville, sœur de notre marquis, devenue en 1650 la seconde épouse du comte Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), écrivain de talent, cousin de la marquise de Sévigné.
Son mariage avec Marie-Jeanne du Bosc, dame du Bois-d’Hennebut (fille de Jean, seigneur du même lieu, baron de Nielles, et de Jeanne de Belloi) fut une union fructueuse, patriarcale, que couronna la naissance de douze enfants :
1° François, sous-lieutenant dans les gendarmes de la reine, dont le titre de marquis de Rouville passa à son puîné, faute de postérité de son mariage en 1677 avec Marie de Béthune (fille d’Hippolyte, chevalier des Ordres du roi et chevalier d’honneur de la reine, et de Marie de Beauvilliers, dame d’atours de la reine) ;
2° Louis, marquis de Rouville, qui fut lieutenant-colonel du régiment du cavalerie de la reine ;
3° Jean, qui fut tué à Wezel à la tête de son détachement du régiment des gardes ;
4° Charles, mort en bas âge ;
5° Hercules-Louis qui fut abbé commandataire d’Andres, et qui mourut en 1691 ;
6° Henri, à qui son père avait donné une cornette [étendard carré d’une compagnie de cavalerie ou de chevau-légers] dans sa compagnie de gendarmes, et qui mourut jeune ;
7° Louis-Marie-Hercules, qui devint capitaine au régiment royal des vaisseaux ;
8° Marie, qui épousa Robert de Monchy, capitaine d’Henneveux, tué à la prise de Lille, et mort sans postérité ;
9° Marie-Jeanne, qui s’allia avec Marc-Antoine-Saladin d’Anglures du Belloi de Savigny, comte d’Etoges ;
10° Louise, décédée sans alliance ;
11° Jeanne, et 12° Marguerite, qui entrèrent au couvent des Carmélites fondé à Compiègne par leur grande tante Magdeleine de Rouville. La première en fut supérieure.
Le marquis de Rouville mourut ruiné. Son cœur a été déposé dans le chœur de l’église d’Ardres.
Le manoir dit « la Ferme des Templiers » à Landrethun-lez-Ardres, a été la propriété du marquis de Rouville, de 1668 jusqu’à son décès en 1677.
L’avenue de Rouville depuis le carrefour St-Omer – Calais ; à droite le champ de foire.
Françoise ROZE
(1631 – 1681)
Françoise Roze est une héroïne de la ville : deux siècles après la conjuration des Rambures, une petite place bien située reçoit le nom de « Belle Roze » ; et en 1953 Ardres en fait une géante.
Voici l’histoire.
En 1653, Ardres était défendue par une compagnie de cavalerie, une demi-compagnie suisse, et un régiment de Rambures fort d’environ 1400 mercenaires. Les Rambures se livraient à toutes sortes d’excès, ce qui avait conduit le marquis de Rouville, gouverneur de la place, à se plaindre à Mazarin. Pour se venger, les officiers des Rambures décident de livrer Ardres aux Espagnols (qui occupaient Saint-Omer). Le coup est prévu pour le dimanche 2 juillet 1653, pendant la messe.
Mais l’un de ces officiers est fiancé à Françoise Roze, fille de l’aubergiste Nicolas Roze. Il prévient sa future belle-famille du danger, et Nicolas Roze en avertit M. de Rouville. Un banquet est organisé pour les officiers Rambures le 1er juillet…
C’est un guet-apens : car à la fin du repas, les bourgeois d’Ardres “brave et fidèle” et la garde suisse massacrent les officiers. La conjuration est déjouée, et Ardres sauvée.
Que ce soit en 1653 avec Françoise Roze, ou pendant le siège de 1657, on peut noter le rôle qu’ont joué les Ardrésiennes dans la défense de leur ville. En racontant le siège d’Ardres par les Espagnols en 1657, Mallet de Brêmes rend un juste hommage, non seulement à l’intrépidité des défenseurs, mais aussi à la vaillance des femmes de la ville : « L’on vit, pendant toute la durée du siège, Madame la marquise de Rouville, avec ses deux filles, la comtesse d’Etoges et la marquise d’Henneveux, suivies des dames et de la plupart des autres femmes de la ville, les unes porter, les autres brouetter les armes, les munitions, les outils et les rafraîchissements dont les soldats et les bourgeois, quasi perpétuellement de garde, avaient besoin dans les postes les plus dangereux. » Ainsi la population tout entière se montra digne de la belle devise « Brave et fidèle » que lui avait donnée le roi François Ier.
Général DORSENNE
1773 – 1812
La « Petite Place » fut renommée « place Dorsenne » parce qu’y est né en 1773 une glorieuse figure ardrésienne : Jean Marie Pierre François Lepaige, qui a été fait comte Dorsenne. Une plaque commémorative a été apposée sur sa maison natale.
Engagé en 1791, se distinguant sur les différents champs de bataille par sa bravoure et sa hardiesse (Austerlitz, Eylau…) Jean Marie Pierre François Lepaige gravit rapidement les échelons, pour devenir général dans la Grande Armée et comte d’Empire. À Essling en 1809, il a deux chevaux tués sous lui ; gravement blessé à la tête, il couvre la retraite avec les Grenadiers de la Garde qu’il commande. Il se signale encore à Wagram ; puis en Espagne, contre la coalition anglo-ibérique.
Célèbre dans l’armée pour la finesse de ses traits, son agréable silhouette, ses manières de prince… très soucieux de son apparence, et spécialement de ses magnifiques cheveux, noirs et bouclés… il était « le beau Dorsenne ». Chaque jour de bataille, il se parait comme s’il allait au bal. Et toujours le sourire aux lèvres… L’empereur l’affectionnait particulièrement, sans manquer de taquiner ce valeureux soldat aux allures de dandy !
En 1812, les maux de tête qu’il supporte depuis Essling l’obligent à regagner la France. On tente une trépanation… Il décède à 39 ans, des suites de l’opération.
Dorsenne est mort en pleine gloire, à l’apogée de l’empire napoléonien. Son corps repose au Panthéon. Son nom est inscrit sur la partie Ouest de l’Arc de Triomphe.
Moins connus, quatre autres officiers de la Révolution et de l’Empire sont nés à Ardres :
– le major de cavalerie PERCEVAL, né à Ardres en 1761, officier de la Légion d’Honneur ;
– le commandant DURAND, né à Ardres en 1771, officier de la Légion d’Honneur et baron d’Empire ;
– le capitaine HÉNARD, né à Ardres en 1774 : le premier à planter son étendard sur le Kremlin (Moscou, 1812) ;
– le colonel CASTILLON, né à Ardres en 1776, nommé en 1806 aide de camp de Dorsenne, officier de la Légion d’Honneur (il reviendra à Ardres, et en sera maire de 1844 à 1848).
Clémence DE GOMER
(1808 – 1889)
Marie Clémence de Gomer est née à Calais en 1808, fille de Charles Auguste de Gomer, et d’Éléonore Marie Claudine Charlotte d’Ampleman de la Cressonnière (elle-même née dans le “château de la Cressonnière”, qui se trouve en bordure Est de Nielles-lès-Ardres, au pied de la Montoire).
Les fortifications de la ville étant démantelées pendant les années 1850, la demoiselle a acheté aux Domaines l’une des huit grandes parcelles de terrain, afin d’y bâtir une belle maison de ville entourée de verdure : la parcelle comprenant le “bastion Condette” dit aussi “bastion Royal”, qu’elle n’a pas voulu faire démolir, fort heureusement pour le patrimoine ardrésien. (En 1962, cela devint la Mairie et le Jardin Public…)
Très pieuse et bienveillante, Mademoiselle de Gomer a donné à l’hospice en 1854 la considérable somme de 25 000 Francs, afin de “secourir les indigents” : elle voulait qu’en dehors de l’hospice, soit créée une salle d’asile pour les enfants pauvres de la commune. Et cette “salle d’asile” a fonctionné une centaine d’années. Encore dans les Années 50,
les enfants y étaient accueillis de l’âge de deux ans jusqu’à six ans, et ce gratuitement. Ceux dont le domicile était trop éloigné (alors une demi-douzaine sur une quarantaine d’enfants) restaient le midi, ils apportaient leur nourriture. Les repas étaient surveillés : il fallait manger proprement, et ne pas gaspiller. Cette fondation « permettait aux mères de famille de vaquer à leurs occupations ménagères, et pour la plupart de faire du découpage de tulle ».
Un personnel civil remplaça les religieuses quand elles quittèrent l’hospice, au grand soulagement des familles qui bénéficiaient des services de cette « modeste œuvre d’entr’aide sociale » ; …laquelle prit fin avec la réglementation de l’enseignement public dans les Années 60.
Au-dessus de la porte du 62 rue Eugène Stubbs, il y a cette plaque gravée évoquant une “DONATION de Melle de GOMER”
Ernest RANSON
(1839 – 1920)
C’est seulement douze jours après la mort d’Ernest Ranson (1839-1920) – et cela témoigne de sa notoriété – que le Conseil municipal décide d’attribuer son nom à une belle avenue, entre le centre-ville et l’Allée des Tilleuls.
Ardrésien de naissance, il avait quitté la ville pour ses études et ses premières affectations de juge de paix. Il l’est devenu pour le canton d’Ardres en 1879, et l’est resté pendant trois décennies. À l’âge de 56 ans, il a épousé une demoiselle Wasselin, de 30 ans plus jeune que lui ; trois enfants sont nés au foyer.
Mais l’œuvre majeure pour laquelle il a laissé son nom à la postérité, c’est son « Histoire d’Ardres depuis son origine jusqu’en 1891 », qu’il a commencée à rédiger en 1884, reprenant tout d’abord la « Chronique de Guînes et Ardre (SIC) » que Lambert avait écrite en latin au XIIème siècle, et poursuivant avec ses recherches personnelles ; pour aboutir à cette somme de 720 pages certes, mais de lecture facile.
Ce qu’il a écrit sur le Moyen-Âge, sur le Camp du Drap d’Or, sur la Révolution française telle qu’Ardres l’a vécue… n’a jamais été dépassé.
La maison natale d’Ernest Ranson, 32 rue Parent-Réal
Constantin SENLECQ
(1842 – 1934)
Constantin Senlecq est né à Fauquembergues en 1842. Après une école de notariat à Saint-Omer, il achète une charge de notaire à Ardres et s’installe Place Dorsenne, dans une maison qui avait été précédemment le couvent des sœurs bénédictines.
Tout en rédigeant actes et contrats, et quoique sans aucune formation scientifique mais curieux de tout, autodidacte qui étudie les lois de la physique… il met au point un vernis conducteur permettant de faire de la “galvanoplastie” sur des végétaux (les fixer dans du métal, par électrolyse).
il s’abonne à la célèbre revue Scientific American pour se perfectionner en Anglais, et apprend ainsi en 1876 qu’un certain Graham Bell est parvenu à transmettre électriquement la parole le long d’une ligne télégraphique : c’est le téléphone. Il pense que s’il est possible de transmettre le son grâce à l’électricité, il doit être possible de transmettre l’image. Les propriétés du sélénium (aujourd’hui utilisé dans les cellules photoélectriques), dont la conductivité électrique augmente avec la lumière reçue, permettent à C. Senlecq de mettre au point en 1878 un « appareil destiné à transmettre les images par l’électricité » qu’il appelle télectroscope ; il en dépose la notice et les schémas à l’Académie des Sciences. Constantin Senlecq est considéré comme l’un des pères, le pionnier français, de la télévision.
Esprit particulièrement inventif, il a déposé de nombreux autres brevets, par exemple :
celui d’un aéronef avec une hélice ascensionnelle et une hélice directionnelle (1886), qui préfigure l’hélicoptère ; après la catastrophe du Pluviôse (1910) au large de Calais : une cloche pour sauver les hommes emprisonnés dans un sous-marin…
S’intéressant aussi à la finance, il est devenu banquier, et a publié en 1895 un traité sur « L’or et l’argent dans la circulation monétaire. Le monométallisme or, cause prépondérante de la ruine agricole et industrielle ».
Constantin Senlecq est mort en 1934, à 92 ans. Il était devenu aveugle.
En 1939, le long « Boulevard Constantin Senlecq » rend hommage à cet inventeur mal connu et pourtant remarquable.
Victor DE SAINT-JUST
(1862 – 1933)
Issu d’une famille noble, influente dans l’Ardrésis depuis le XVIIème siècle, Victor Ernest Marie de Saint-Just est né le 5 janvier 1862 au château de Bois-en-Ardres. Il entre à Saint-Cyr à 19 ans ; il sort major de Saumur. Régulièrement promu, il est lieutenant-colonel au 22e Dragons au moment de la Grande Guerre.
C’est une image de légende que laisse la bravoure du chef. « Les territoriaux qui gardaient les tranchées parlaient avec admiration, comme d’un être invulnérable, de ce grand colonel de Dragons qui se promenait devant eux, sous la fusillade, ne perdant pas un pouce de sa grande taille, et narguant les balles » (« Témoins de quatre siècles », F. de Saint-Just). Général à Verdun en 1916, il commande un quart du front. On lui confie la charge de préparer la reprise du fort de Douaumont ; cette mission est si bien accomplie que le général Mangin, arrivé le 20 octobre 1916, s’empare du fort en quelques heures : une victoire qui a eu un retentissement considérable. Le 1er mai 1917, le général de Saint-Just est mis à la tête de la 123e Division d’Infanterie.
Chevalier de la Légion d’Honneur depuis 1906, officier fin 1916, il en est fait commandeur début 1919. On lui propose le commandement du XIe Corps d’Armée : il aurait pu accrocher une quatrième étoile à son képi ; mais il démissionne, le 19 avril 1919. Et à 57 ans, Victor de Saint-Just rentre dans son pays natal, où on lui fait un triomphe. Il prend de nouveaux engagements : il devient maire d’Ardres dès 1919 . En 1924 il est élu député du Pas-de-Calais, avec une forte majorité ; cette majorité s’accroît encore aux deux élections suivantes.
En 1921, Le Général de Saint-Just avait fait ériger le monument aux Morts, qu’il voulait visible depuis le carrefour Calais – Saint-Omer. Il a surtout été à l’origine de la modernisation de la ville : construction des châteaux d’eau à Bois-en-Ardres et Ardres, et réseaux de distribution ; percement de la rue du Gouvernement entre la chapelle des Carmes et la Caisse d’Epargne… Victor de Saint-Just était aussi un ardent défenseur de l’agriculture.
Le 3 août 1933, il est terrassé par une crise cardiaque, lors d’une chasse au marais. Une stèle marque le lieu de son décès, près de Pont-d’Ardres, en bordure de la D 943, « sur cette terre qui eut son premier et son dernier regard, et qui fut la passion de toute sa vie ».
Bois-en-Ardres rebaptise la rue principale en son honneur ; le bourg donne à une place très fréquentée le nom de celui qui fut maire pendant treize ans, et lui érige un monument sur le Champ de Foire.
Victor de Saint-Just a eu six enfants ; dont Robert (1892-1914), mort au champ d’honneur, dès le début de la Grande Guerre ; et François (1895-1984) qui, après un parcours plutôt scientifique, suit les traces de son père en politique, lui succédant immédiatement comme maire d’Ardres en 1933, puis comme député du Pas-de-Calais. Passionné d’Histoire, François de Saint-Just sera un écrivain de l’histoire locale.
Buste du Général de Saint-Just au champ de foire (Ardres).
À Pont-d’Ardres la stèle commémorative (1934)
au lieu du décès du général de Saint-Just.