Les Poires

LES SILOS À BLÉ ou « POIRES » d'ARDRES

Les « Poires », situées sous l’esplanade du Maréchal Leclerc, ont quasiment été « redécouvertes » par hasard au cours d’une campagne d’assainissement urbain en 1971, où le puits fut repéré ; la ville d’Ardres s’intéressant au site, on a retrouvé l’accès de l’escalier (chez Mme Leroy) ; les services municipaux ont asséché et déblayé les souterrains, pour permettre leur restauration.


⇐ L’entrée des greniers se fait par la porte du garage peinte en marron. Ils s’étendent sous la route et la place, visibles sur la photo.
        ⇓  Ci-dessous emplacement des Poires sur une carte ©IGN. Géoportail. 

Au XVIème siècle, Ardres est la citadelle avancée de la France, face aux Espagnols (Saint-Omer) et aux Anglais (Calais).
1520 : Camp du Drap d’or, la rencontre entre François 1er et Henri VIII.
1520-1539 : construction des Poires, à la demande de François 1er. Il voulait compléter les fortifications par des réserves de nourriture pour les militaires. On a la trace d’un paiement qu’il effectue en 1529, pour les travaux effectués à Ardres par Dominique DE CORTONE, dit « BOCCADOR » (« Bouche d’Or »… architecte et ingénieur italien. Il a conçu le château de Chambord ; les fortifications d’Amboise, et celles de Paris, dont il a aussi conçu l’Hôtel de Ville ).
1550 : graffiti relevé sur une paroi de galerie.

ARCHITECTURE :
À partir des éléments conservés, et des plans retrouvés aux archives, on peut avoir une idée exacte des « poires », construites après que l’on ait excavé le sable du terrain.

  • Au rez-de-chaussée s’élevait une HALLE À GRAINS ouverte ( 20m x 20m ), protégée par trois combles à deux pentes. Elle a disparu dès le XVIIIème s.
  • Au-dessous du sol, disposés en 3 rangées de 3, 9 silos hémisphéro-cylindriques (cf une bouteille Thermos). Diamètre 5,5 m x hauteur 7 m.

Le blé était déversé dans le silo par en haut, depuis la halle aux grains. Quand il était plein, le silo était fermé par un bouchon d’argile.

  • Sous les silos–11m50 du sol), trois galeries de service, dont les voûtes sont faites de plusieurs couches de briques superposées, et d’où partent trois cheminées d’aération. L’ensemble silos + galeries est l’œuvre de maçons italiens.

C’est par ces galeries que le grain était récupéré. (Chaque silo aurait dû se terminer comme un entonnoir…) L’orifice inférieur est fermé par une clavette ; on y attachait les sacs.

Une fois remplis, ceux-ci étaient remontés soit à dos d’homme par une rampe d’escalier (60 marches), soit par un puits à l’aide d’un treuil : au pied de l’escalier, on a ce puits au-dessus de la tête, et on voit les traces du frottement des cordes sur les parois, lors de la remontée des sacs.

9 poires = 11 000 hectolitres soit 1 000 tonnes de grain.

À une époque où l’on consommait 1 kg de pain par personne par jour, la garnison étant estimée à 500 personnes, la population autant, plus les animaux… le stock devait permettre de soutenir un siège pendant un an.
Les rendements en blé étant à l’époque en moyenne de 12 quintaux à l’hectare, cela suppose 850 hectares emblavés pour remplir les silos.
Une des nouveautés introduites par ce mode de stockage réside dans le mouvement du grain, grâce au prélèvement en partie basse du silo.

Les « Poires » sont d’exceptionnels silos souterrains qui tirent leur nom de leur forme.
Le « magasin » à blé était à l’origine une construction en brique et pierre, de 20 mètres de côté, de trois niveaux dont deux souterrains. au sol s’élevait une halle à grain ouverte, protégée par trois combles à deux pentes. Au-dessous avaient été aménagés neuf silos hémisphéro-cylindriques, mesurant 5,5 m de diamètre et 7 m de hauteur, disposés par rangées de trois, dans lesquels on déversait du blé. Au fond, à moins de 11 mètres, se trouvaient trois galeries, d’où partaient trois cheminées d’aération, et dans lesquelles des trémies avaient été installées. C’est par elles qu’on récupérait le grain, qui était ensuite hissé par un puits, ou remonté par une pente en escalier.

Cependant le mouvement du grain est quand même très relatif ; même si la “balle” protégeait les grains (moins nettoyés que maintenant), des problèmes d’humidité ont pu se poser ; ou d’anaérobiose : que devenait le grain, à l’abri de l’air ? …risque de FERMENTATION…

En quel état récupérait-on le grain ? On suppose que la conservation a été problématique : les silos n’ont été utilisés que pendant un siècle. Ils ont été définitivement abandonnés en 1649.

Désaffectées donc en 1649-1650, les « Poires » se sont dégradées au fil du temps.
1692 : les combles souffrent des intempéries. 1698 : trois voûtes s’effondrent.
Il y eut bien des tentatives de réhabilitation…. En 1710, un boulanger a installé son four dans la galerie de gauche, en utilisant la cheminée d’aération. Mais en 1712, 3 autres voûtes s’effondrent ; on envisage de construire une caserne pour les officiers de la place [cf la coupe signée “Lemaire” ci-dessus] : « logement au-dessus, distribué pour 16 capitaines, 16 lieutenants et leurs valets ».
Au début du XIXe s., on projette d’installer des magasins militaires…
Mais en 1820, tout est arasé.
1880 : projet d’aménagement en …fosse d’aisance, pour la caserne de l’esplanade (aujourd’hui Institution ND de Grâces).
Vers 1900, les souterrains sont officiellement abandonnés par l’armée.

Mais leur souvenir ne s’est jamais totalement perdu : quelques jeunes Ardrésiens les ont explorés entre les deux guerres mondiales, et ont laissé des graffitis dans les galeries.
1940-1944 : sous l’Occupation, l’armée allemande, intéressée par tous les abris souterrains, a utilisé les galeries inférieures ; ce sont les Allemands qui ont bétonné la voûte de l’escalier, et installé l’électricité. L’une des Poires a été éventrée et vidée de son contenu. (photos ci-dessous)

Intérieur d'une "Poire" éventrée, tout en haut la dalle qui supporte la chaussée.
‌L'escalier menant aux Poires. L'échelle posée à plat date des Allemands, pour remonter les wagonnets chargés de gravats.
                            A : arrivée de l'escalier. B : accès à la galerie sous les silos. C : puits pour remonter le blé.                                                         D : galerie sous les silos. E : galerie principale.
Galeries sous les silos

                                                                                                              Chacune des voûtes des trois galeries comporte trois trémies par lesquelles on récupérait le blé stocké dans les silos au-dessus. Celui-ci était ensuite remonté soit par le puits, soit par l’escalier.

graf 1539

Dans la galerie de gauche on peut voir ce graffiti de 1539.

Pierre BEAUMESNIL a réalisé en 1784 une étude des silos d’Amboise, improprement appelés « Greniers de César », car installés dans une zone troglodytique existant depuis l’époque romaine, Mais ces très grands silos à grains ont été construits au XVIème s. ; et comme à Ardres, on trouve ici une disposition sur trois niveaux, avec évacuation du grain par la cave inférieure. Les silos ont été taillés DANS LA ROCHE ; puis les parois ont été recouvertes d’un enduit de mortier à chaux grasse mêlé à du sable et de la brique pilée, ce qui assure une première protection contre l’humidité. Entre cet enduit et le mur de briques du silo renfermant le grain, on a laissé un espace de 20 cm env., ensuite comblé avec du sable très fin de Loire dit falaise, afin d’assurer une protection supplémentaire contre l’humidité.

Les galeries des « Poires » ne sont pas les seuls souterrains de la ville d’Ardres, il y a aussi le « bastion Royal »
qui faisait partie des fortification de Vauban et que vous pouvez découvrir en suivant ce lien.

Voir un reportage vidéo de France 3 concernant les Poires (sur Facebook)