Petites histoires pendant la Révolution

   A la Révolution de 1789, l’église d’Ardres,comme la ville, était dans un état déplorable. Et ce piteux état fit oublier qu’elle fut au XIIème siècle une collégiale construite sur le modèle de celle de Saint-Omer, aujourd’hui cathédrale !

   Découvrons ce qui résista au temps : sur les quatre cloches « deux furent envoyées à Calais pour y être fondues ; les besoins de la défense nationale exigeaient l’utilisation de tous les métaux. La plus grosse restante, baptisée Marie-Claudine-Jeanne, cloche de l’horloge et de tout temps cloche d’alarme, fut appelée aussi cloche Joyeuse. L’assemblée communale du 1er Octobre 1793 en réglementa l’usage que pour les réjouissances publiques ».

    Une Vierge du XIIIème siècle, appelée Notre Dame de Grâce est la plus ancienne statue conservée dans l’église. Elle en fut enlevée par un sieur Denoeux qui la déposa chez une demoiselle Grandsire, qui en fit sa compagne de lit, le temps de la tourmente révolutionnaire.

    La statue de Sainte Apolline (patronne des dentistes) fut transférée à l’autel de la Liberté de la chapelle des Carmes en 1793, sous le nom de Déesse de la Raison. Dans sa main droite, les tenailles furent remplacées par le livre des Droits de l’Homme qu’elle présente au Peuple. Sa tête fut couverte du bonnet phrygien, qui disparut au retour dans l’église.

  Quelques tombes sont encore visibles dans la nef dont celle d’un des bâtisseurs de l’hôpital militaire : Dominique LANGE.

   « La dernière fête à laquelle on avait associé la religion fut le service solennel chanté le 30 Janvier 1793. Les cérémonies populaires remplacèrent celles de l’église qui perdit donc la splendeur de son lieu. Le nouveau calendrier républicain fut créé le 20 Novembre 1793 (Frimaire).
    Pour la fête qui se célébra à Ardres, on rassembla les titres féodaux pour les brûler, et il fut demandé que les statues des saints et des saintes existant encore dans le temple du culte catholique, fussent brûlées également pour ajouter à la splendeur de la fête.
   Ornements, cuivres, argenterie, candélabres furent conduits à Calais pour y être vendus ; il y avait un intérêt pressant : le salut de la patrie. On devait pourvoir à la solde des troupes, et pour repousser l’ennemi, il fallait des canons et de la poudre  ».

 En effet la guerre civile plaçait l’Assemblée révolutionnaire devant un redoutable problème d’approvisionnement en munitions : où trouver les composants de la poudre à canon, mélange de soufre, de charbon et de salpêtre (nitrate de potassium) ? Pour le salpêtre, il suffisait de récolter les efflorescences blanches des murs et caves humides ; on utilisa des pierres comme celles du vieux château d’Autingues pour les laver, ainsi que les ossements des tombes profanées de l’église d’Ardres.

    Le nitrate fut déposé dans la nef basse de l’église, lieu de culte alors abandonné. « Les ouvriers s’inquiétèrent peu de la destination antérieure de cet édifice. Ils brisèrent les pierres, les statues, tout ce qui les gênait. Le Directeur des travaux déclara que le pavé était détérioré, les pierres des tombeaux si vétustes qu’elles se brisaient au moindre attouchement ». En fait, cet atelier ne donna qu’un médiocre résultat.

   Le citoyen Pointel demanda, en été 1795, que la nef servît de magasin aux fourrages. A cause du risque d’incendie venant des cheminées des maisons voisines, adossées aux murailles de l’église, il fit murer les fenêtres du chœur et des chapelles latérales.

    Le 17 mars 1799, l’église fut mise en vente par l’Administration comme Bien National… mais les Ardrésiens se mobilisèrent : « Raser un beffroi encore neuf qui renferme la cloche d’alarme et supporte l’horloge de la ville, c’est briser les ressorts qui unissent les administrés à leurs magistrats ; c’est rompre les moyens de communications qui existent entre eux ; c’est en un mot proclamer la destruction de tout ce qu’il y a d’utile… ».

   La ville aurait dû dédommager les occupants des maisons qui entouraient l’église. Et… la vente fut différée ! L’église entière fut conservée grâce à son beffroi, à la cloche Joyeuse et à l’énergie de ses habitants !

    Le 9 Novembre 1800, un grand ouragan dévasta la région et la partie latérale de la basse église s’écroula. Tout ce qui menaçait ruine fut démoli pour fortifier ce qui pouvait l’être ; la partie basse fut rasée, et un nouveau pavé fut établi par souscription.

    Après la tourmente, les offices reprirent le 4 Juin 1802, dans un édifice qui avait souffert de la Révolution et des intempéries. Libersalle et Gieseler restaureront l’édifice à la fin du XIXème siècle. 

Texte : Monique Debuyser et Brigitte Delgrange
Sources : Ernest Ranson, René Ringot, archives du Pas-de-Calais. Photo Michel Debuyser